Slow Dancer ♪
« Et quand les océans te monteront aux cils,
j'irais au fond des mers du noir de tes pupilles.
Et s'il faut que chaque jour je devienne soleil,
pour éteindre les nuits pour éclairer ton ciel. »
Damien Saez
†

« Et quand les océans te monteront aux cils,
j'irais au fond des mers du noir de tes pupilles.
Et s'il faut que chaque jour je devienne soleil,
pour éteindre les nuits pour éclairer ton ciel. »
Damien Saez
†

CHAPITRE TROIS
« To light it up again burn like a holy fire. Light me up again if it makes you feel free »
Le ciel commençait déjà à se couvrir de milliers d'étoiles alors que nous transportions le corps hors de l'entrepôt abandonné. Entrepôt se trouvant à la frontière de la ville, là où nul n'osait s'aventurer, entouré d'une vaste végétation qui avait repris ses droits sur la civilisation. Lorsque je l'avais rejoint quelques heures auparavant, Kakashi arrachait une à une les dents d'un homme au crâne dégarni, mort, couvert de sueur et d'autres liquides inidentifiables. Le jaune verdâtre couvrant le col de sa chemise blanche me fit presque cracher mes tripes, plus encore l'odeur d'urine qui envahissait le grand espace. Son tortionnaire, lui, n'avait pourtant pas semblé être préoccupé par tous ces éléments, accomplissant son travail avec minutie, et cela ne m'étonnait que très peu. Quelques murmures sur ses prouesses en termes d'obtention d'infos m'avaient été contés. Sa réputation n'était plus à faire. Ce cadavre-là n'avait pourtant pas de grandes séquelles, si ce n'étaient quelques brûlures sur les bras. Corps inerte qui trônait maintenant sous une épaisse couverture, à l'arrière du pick-up volé de Kakashi, un trou net ornant son front figé. Devant, j'ouvrais la voie dans cette vieille berline d'un rouge bordeaux délavée, qui ne m'appartenait pas non plus. Précaution à ne pas négliger si nous croisions des flics, j'étais une excellente diversion. La route fut longue et calme jusqu'à la ferme préférée de Kakashi, et alors que nous jetions la carcasse aux porcs affamés, j'essayais d'amener la conversation avec prudence au vu de son regard meurtrier.
« Comment se nomme ce club ?
-Je n'en sais rien.
-On ne va pas tuer tous les flics de la ville, Kakashi.
-Et tu en es arrivé à cette conclusion seul ? son sarcasme glaça un peu plus l'ambiance.
-Ce que je veux dire...
-Je sais ce que tu veux dire, me coupa-t-il. Je suis vieux, pas con.
-Demain ? demandai-je simplement.
-Maintenant. »
Mon cerveau n'arrivait pas à coordonner le trop plein d'informations. Heure tardive; couvert de sang; ancien compagnon de vie; membre supérieur des forces de l'ordre. C'était définitivement une bien belle connerie à faire que d'y aller de suite. Son humeur massacrante me rassurait encore moins, et pourtant, une clope en bouche, je le suivis calmement, tout en essayant de faire abstraction des tâches poisseuses sur mon polo. Il abandonna son pick-up dans une ruelle, retirant plaque et toute preuve de sa présence. Ce fut dans ma berline, accompagnés d'un silence de plomb, que nous nous rendîmes chez Umino certainement endormi à cette heure-ci. J'appréhendais la rencontre de ces deux-là, ne sachant comment ils allaient réagir mais je n'avais qu'une certitude : la fatigue ne me permettrait pas d'être patient face à une querelle d'amoureux. Il m'intima de ne rien dire, de le laisser mener la discussion et de ne surtout intervenir à aucun moment. Sous aucun prétexte. C'était la dernière de mes intentions. Tant que j'avais le nom de ce gang merdique, et que j'allais enfin découvrir ce qui se tramait derrière la mort de mon ami... rien d'autre n'avait d'importance.
J'arrivais sans mal à imaginer le bout du tunnel, la fin de cette vengeance promise sous le coup d'une émotion noire, trop profonde. Par dessus tout, j'arrivais à entrapercevoir le soulagement de Kurenaï, apprenant que les coupables gisaient enfin six pieds sous terre. Mon c½ur lui-même se préparait à ce bonheur, prêt à se laisser aller à un autre sentiment que la colère et le désir de vengeance.
Cette promesse était bien trop lourde à supporter plus longtemps. Allais-je enfin pleurer sa mort, être en paix avec moi-même, et vivre dans la tranquillité, loin de ce monde ?
Une interminable minute s'écoula avant qu'Iruka ne nous ouvre la porte. Les secondes qui suivirent durèrent encore plus longtemps, alors que leurs regards ne voulaient plus se quitter. Je voyais de la ranc½ur au fond de ses prunelles d'un marron clair, de l'aversion aussi, mais surtout un puit de tristesse dû à l'amour qu'il devait sûrement encore lui porter. Je voulais bien rester en dehors d'une éventuelle conversation, mais sans un mot, c'était mal parti.
« Un gang au nord de la ville tatouant des fleurs de lotus, ça te dit quelque chose ? dit Kakashi d'une voix que je ne lui connaissais pas, presque fébrile.
-T'es blessé ? s'inquiéta soudainement Iruka.
-Ce n'est pas mon sang. »
Il recula d'un pas, serra les dents, et les poings aussi. Je la sentais vraiment mal cette rencontre, quelque chose d'abominable allait se produire, et ce pressentiment me donnait presque envie de soutirer moi-même les informations à ce sale flic. Seul le vent se faisait entendre durant d'interminables secondes où ils se fixèrent encore, comme s'ils discutaient dans un monde qui m'était interdit d'accès. La conversation dut tourner au drame, car il fermait déjà la porte, la tête baissée, abattu. Le pied de Kakashi l'empêcha pourtant de nous quitter. D'un geste violent qui me surprit, il l'écarta afin de s'incruster dans l'étroit couloir. Sa colère était palpable, et se vit encore plus lorsqu'il attrapa son ex-compagnon par la gorge afin de le placarder au mur. Je m'introduis en silence, et refermai derrière moi, certain d'être hors de portée de vue. Les yeux d'Iruka s'écarquillèrent, lui donnant un air plus surpris qu'apeuré. Ces deux hommes ne s'étaient jamais battus ? La poigne blanche l'enserra de plus en plus fort, le privant d'air, et son teint habituellement hâlé vira presque bleu. Kakashi était un homme dangereux, nul doute... mais Iruka ne daignait même pas se défendre. Pourquoi ? Les mains bien au chaud dans mes poches, je m'adossais au mur en face, observant la scène, impatient d'en finir. L'officier à deux doigts de perdre connaissance, Kakashi lâcha enfin prise, et le corps s'effondra au sol. Iruka essaya du mieux possible de récupérer l'usage de sa respiration. Mon partenaire s'accroupit pour lui faire face, pencha légèrement la tête sur le côté et caressa tendrement sa joue.
« Écoute, je n'ai pas envie de te faire du mal, d'aller trop loin pour une simple information. Lâche le morceau, et tu ne me reverras plus.
- Sinon quoi ? rit-il, moqueur. Me tueras-tu, Kakashi ?
- Iruka... le silence s'abattit de nouveau dans la pièce, et dans un soupir, Kakashi se releva, aidant par la même occasion Iruka à se redresser. Tu sais que je ne pourrais jamais véritablement te faire du mal. Mais, et j'entendis sa voix trembler, je peux vivre avec ta mort sur la conscience. Cet homme, que tu connais, dit-il en me pointant du doigt, te tuera sans une once d'hésitation. Il disait vrai. À toi de voir.
- Tu sais que le mal n'est pas forcément physique ? T'en es conscient ? Ou t'en as juste rien à foutre ?
- Iruka...
- Dans le quartier nord, celui de votre ami blond, derrière la boutique de fleur. Tu trouveras tes prochaines victimes, le coupa-t-il d'une voix froide. Ne laisse aucune preuve, je pourrais me faire un plaisir de te foutre moi-même derrière les barreaux.
- Merci, dis-je simplement, avant de quitter la maison.
- Cassez-vous. »
La porte d'entrée refermée, l'argentée frappa durement la façade en pierre, y laissant des bouts de peaux, et du sang. Ce fut sans un mot que mes pas le suivirent jusqu'à la voiture. La journée avait été très longue, la nuit s'annonçait interminable et je m'impatientais d'en finir au plus vite. Kakashi également, au vu de sa conduite assez barbare. Pour quelqu'un qui venait d'assassiner un flic et d'en agresser un autre, ce n'était pas ce qu'on pouvait appeler de la conduite prudente, et la discrétion était apparemment son dernier souci. Nous traversâmes la ville en une vitesse record, passant devant le bâtiment délabré de Naruto, puis un peu plus loin, à côté de la seule boutique de fleurs du quartier. Mon partenaire se gara prêt du magasin, évitant d'alerter les membres du gang que nous cherchions. Le boucan venant de la ruelle voisine nous mit sur le bon chemin et nul besoin de marcher longtemps. Une bande chaleureuse nous accueillit devant un local ouvert. Au vu de la lueur dans leurs regards, ce n'était pas un verre de thé qu'ils voulaient nous offrir, très loin de là. Un magnifique carnage n'allait pas tarder à éclater, et j'aurais parié sur eux si je n'avais pas remarqué la rage dans les yeux borgnes de Kakashi. Effrayant, prêt à en découdre, son envie de déverser toute sa haine sur ces inconnus me filait des frissons. Je compris rapidement le topo : au placard la diplomatie.
Pourtant, avant la violence, c'était la raison du massacre d'Asuma qui m'intéressait. Pourquoi lui ? Pourquoi ce gang-ci en particulier en voulait tant à sa vie ? Qu'est-ce que mon seul ami leur avait fait dans le passé pour provoquer un tel excès de rage ? Car sa mort n'avait rien d'une rapide altercation. Non, la colère marquait chaque ecchymose de son corps maintenant ensevelis sous terre. Alors pourquoi ? Un blond aux traits fins presque féminins me tira de mes pensées. Il replaça une longue mèche blonde derrière son oreille et laissa apparaître deux orbes d'un bleu doux, clair, presque amical. Je devinais pourtant ses muscles sous son t-shirt trop moulant pour appartenir à un homme, et sa gueule parfaite, sans égratignure, me laissait sur la réserve. Ce mec était dangereux. Assez pour n'avoir aucune blessure en tout cas. Et son acolyte semblait pire avec ses prunelles figées, sur un visage angélique, enfantin. Sur quoi étions-nous tombés ? Je sursautai à l'entente d'un coup de feu qui résonna dans tout le quartier. Un corps maintenant sans vie s'effondra derrière le blond, laissant tomber un flingue au bout de ses doigts, un filet de sang au coin de la bouche.
Kakashi venait de m'éviter la mort.
Le bruit avait sûrement alerté tout le voisinage, ce qui m'inquiétait apparemment plus que nos hôtes.
« Putain! Merde ! entendis-je d'un nouveau venu. C'est quoi ce bordel?!
- Je n'ai fais que tirer le premier, marmonna Kakashi, d'un air ennuyé qui ne présageait rien de bon. On vient simplement discuter,
- Vous deux, virez-moi ce con, ordonna-t-il à d'autres hommes. Et le premier qui me ramène une nouvelle tête, je le tue moi-même, c'est compris ?!
- Que se passe-t-il ? demanda une voix dans mon dos, ensommeillé, mais que je reconnus être celle de Naruto.
- Rentrons régler ça.
- Oui, murmurai-je à peine. C'est une excellente idée. »
Je passai outre le regard passablement énervé de mon ancien partenaire et les suivi sans rechigner avec Kakashi juste derrière nous, un peu plus méfiant. Qu'est-ce que Naruto venait faire dans cette histoire ? Cela aussi me rendait trop curieux. Était-il lié au meurtre d'Asuma ? Mais en quoi Naruto voudrait sa mort ? À y réfléchir quelques secondes, le blond n'était même pas venu à son enterrement, et ne semblait absolument pas touché par son décès. Il était vrai que la façon de gagner notre vie ne laissait pas de place à de la pitié et de la tristesse, pourtant Asuma avait toujours été d'une gentillesse infinie envers lui, comme avec moi. Alors quelle était sa relation avec ce gang, ces personnes qui avaient battu à mort mon ami ? La colère se mêlait à mes doutes, un cocktail explosif en plein c½ur, chose dangereuse vu mon manque de sommeil et mes émotions pas très stables.
« Shika, qu'est-ce tu fous là ?
- C'est le seul gang qui utilise des fleurs de lotus sur le corps de ses victimes.
- De quoi parles-tu gamin ? demanda celui qui semblait être le leader de cette tribu d'idiots.
- Je vois où tu veux en venir, et je peux te promettre que Pein et sa bande n'ont rien à voir avec le meurtre d'Asuma.
- Et je suis censé te croire sur parole ?
- Qu'insinues-tu ? sa voix était menaçante, me faisant bien comprendre qu'il me fallait choisir avec précaution mes prochaines paroles.
- Que je ne connais pas ce gang, alors permet moi d'avoir un doute sur leur culpabilité.
- Pein est mon cousin, il vit ici depuis des années et comme tu as pu le remarquer, ils se sont faits discrets jusque-là. Leur but c'est d'aider les gamins qui traînent dans la rue, les faire sortir de la drogue. Pas de battre des gens à mort.
- Une association caritative ? ironisai-je.
- Loin de là, me répondit le roux, certainement le cousin en question de Naruto. Mais nous n'avions aucune raison de toucher à ton ami. Pourquoi aurions-nous fait cela ?
- J'en sais rien, à toi de me le dire, cracha Kakashi, à bout de nerfs.
- Je n'en ai aucune idée, soupira Pain. Et si vous trouvez quoique ce soit qui me lierait à ce meurtre, mise à part cette fleur de lotus qui était ma marque personnelle il y a quelques années, je vous offrirais ma tête sur un plateau d'argent. En attendant, cassez-vous tous d'ici.
- Vous ne marquez plus vos victimes avec ce tatouage ?
- J'étais jeune et stupide, parce que avouons qu'orner des corps de tatouage, ça prend du temps, et c'est ridicule. Je n'ai pas tué ton ami, gamin. Mais quelqu'un veut te le faire croire.
- Qui ?
- Je n'en sais rien non plus, et sans vouloir t'offenser, ça, c'est ton problème. Si t'as quelque chose de concret contre moi ou mon gang, reviens me voir. Il lança un regard noir à Kakashi. Sans faire de mort. »
D'un geste de bras, il nous invita à quitter l'endroit, et je me sentis infiniment frustré de me retrouver de nouveau au point mort. C'était quoi cette histoire à dormir debout ? Cette journée qui me semblait apporter toutes les réponses à mes questions était finalement la pire de ma vie, me brouillant encore plus l'esprit. J'avais une migraine à me donner des nausées, et la fatigue commençait vraiment à se faire ressentir. Sans un au revoir à mes deux partenaires de tuerie, j'empruntais le chemin vers chez moi, le crâne lourd de questions. Pein n'avait pas tort, aucune raison ne liait ce meurtre à ce gang, et encore moins à Naruto. Mes doutes sur sa personne n'étaient aucunement fondés, et j'étais ridicule de penser un instant que le blond aurait pu le tuer de manière si brutale. Le tuer, certes, c'était tout à fait dans ses cordes s'il avait une bonne raison de le faire. Le battre à mort ? Ce n'était pas pour rien que le blond tranchait la jugulaire de ses victimes, leur évitant de souffrir de longues heures.
La nuit avait refroidi l'atmosphère et ma petite veste ne me protégeait pas vraiment contre le la brise glacée. Je sillonnais les rues comme un cadavre, le c½ur cruellement lourd, et je ne comprenais pas d'où me venait cette douleur, insupportable. Je réussis vaguement à maîtriser les accrocs de ma respiration, précipitant mes pas pour rentrer au plus vite. Les mains dans les poches, mes doigts butèrent contre mon paquet de cigarettes, ce qui me parût être une excellente idée. Ça calmerait peut-être mes nerfs, et cette sensation étrange dans ma poitrine. Ma respiration ne s'améliora pas, quant à elle, se saccadant à chaque nouveau pas, à chaque nouvelle bouffée de nicotine. Je sentais bien que quelque chose se brisait en moi, qu'il fallait que ça sorte ou que ça allait me bouffer avant la prochaine aube, qui n'allait déjà pas tarder à se montrer. Mon bâtiment se dessina enfin à l'horizon, immense bâtisse qu'il m'était impatient de rejoindre, ma fierté m'obligeant à ne pas craquer. Pas en pleine rue, aussi déserte soit-elle. Je pressais mes pas, courant presque jusqu'à l'immeuble, tout en sortant le trousseau de clefs de ma poche. Seulement mon âme, mon c½ur, peu importe quel organe, traître, me rappela la douleur immense qui m'étreignait depuis de longues minutes. Le froid ne me faisait plus rien, ne ressentant que le vent caresser mes joues, les glaçant par la même occasion. En passant une main sur celle-ci, je me rendis compte qu'il était beaucoup trop tard pour garder ma fierté en vie, car j'avais la peau trempée, et ce n'était cette fois-ci pas la pluie. J'aurais aimé...
Comme j'aurais aimé en finir avec cette histoire aujourd'hui, tuer un à un les membres de ce gang, sans même les écouter parler, juste assassiner de potentiels coupables, pour calmer cette idée de vengeance qui allait me bouffer l'existence pour un temps que j'ignorais encore. Je me serais contenté d'eux, de ces hommes, innocents ou non, j'aurais eu ma putain de revanche, j'aurais pu tourner cette putain de page. J'aurais pu... mais non. Alors j'essayais ridiculement d'entrer la clef dans la serrure, les yeux brouillés par les larmes, foutues gouttes d'eau disparues depuis si longtemps. Et quel sentiment affreux que de ne pouvoir tout retenir, chialer de l'intérieur, ne pas montrer cette faiblesse minable, même à mon reflet à la porte du hall qui ne s'ouvrait pas malgré tous mes efforts. Ce fut mon poing qui la fit trembler, laissant une fine fissure sur le verre bien renforcée au vu de la douleur, ce qui me permit d'oublier quelques secondes celle de mon for intérieur, beaucoup plus intense. Alors mes poings frappèrent de nouveau, encore et encore, sur le mur, sur la vitre, et qu'importe si mes os se brisaient, je continuais à détruire la porte... me détruire, jusqu'à sentir une poigne sur mon épaule. Il me fallut quelques secondes afin d'identifier à travers mes larmes ma voisine, les yeux horrifiés, vacants entre mes mains et le verre maintenant brisé et ensanglanté de la porte. Elle l'ouvrit doucement, me passant devant, tirant sur mon poignet afin que je la suivre. Arrivés à notre étage, la blonde insista pour soigner mes blessures, et m'entraîna de force à son appartement. Je n'avais même plus l'énergie de refuser. Exténué, perdu, je me laissai tirer jusqu'au canapé.
« Je vais le salir, dis-je d'une voix faible et épuisée.
- Aucune importance, passe-moi tes mains. »
La blonde dont le nom ne me revint pas s'assit sur la table basse du même blanc que toute la décoration du salon, et je lui obéis sans poser de questions, posant mes mains brisées sur la peau nue de ses cuisses. Elle s'appliqua à me soigner avec une douceur incroyable, alors que mes yeux retrouvaient leur sécheresse habituelle. Aucune parole ne lui échappa, malgré la lueur de curiosité dans ses prunelles plus bleues que celles de Naruto. Tant mieux, car je n'avais vraiment pas la moindre réponse à lui fournir, aucune envie d'inventer un mensonge. D'ailleurs, qu'est-ce que je foutais là ? M'apprêtant à retirer mes mains, prêt à rentrer chez moi, la jeune femme me retint sans cérémonies, m'obligeant à ne pas bouger tant qu'elle n'avait pas terminée.
« Je vais laver ça chez moi, murmurai-je.
- J'étais infirmière, et crois-moi, ce n'est pas le genre de blessures qu'on rince sous l'eau, s'énerva-t-elle. Tu aurais pu te briser les mains, idiot !
- Je suis fatigué.
- Moi aussi alors ne bouge pas que je puisse terminer et que chacun retourne se coucher. Un long soupire lui échappa. Je suppose que tu ne veux pas en parler?
- Non.
- Je m'en doutais.
- C'est quoi, ton nom, déjà ? »
Son agacement était palpable, et cela m'amusa un instant, me faisant même oublier ma vie miséreuse le temps d'une seconde.
« Ino, maugréa-t-elle.
- Je tâcherais de m'en souvenir, me moquai-je alors qu'elle s'attaquait à ma deuxième main, avec moins de douceur.
- T'es le mec le plus désagréable que j'ai jamais rencontré.
- Tu n'as pas dû en rencontrer des masses.
- Ah parce que tu te trouves de charmante compagnie ?! »
Je lui accordais un sourire qu'elle me rendit avant de retourner à sa tâche principale. Il fallait vraiment que je rentre, que j'aille dormir un peu. Ma tête tomba en arrière, fermant les yeux. Juste une seconde, quelques minutes de répit, dans cet appartement qui ne puait pas la mort, en compagnie d'une personne qui ne semblait pas avoir de sang sur les mains... si ce n'était le mien à cet instant. Cette paix me fit un bien fou, et pendant un court moment, je compris ce que t'essayais de me répéter, Asuma. Je compris enfin de quel calme tu ne cessais de me parler, de cet apaisement hors de notre monde.
Alors en silence, je laissais ces larmes glisser le long de mes joues, me fichant bien cette fois-ci de paraître pathétique, de ressembler à un minable homme ridicule, chialant comme un gamin. Car t'étais plus là pour m'écouter te raconter qu'enfin, j'avais trouvé, même durant de simples secondes, ce repos intérieur. Tu n'étais plus là, j'avais échoué à te venger, et alors que ton gosse grandissait sans père, ton meurtrier courait toujours les rues. L'impuissance, la rage, la tristesse... tous ces sentiments reprenaient déjà le dessus sur le calme, redoublant mes larmes qui coulaient librement sur ma peau, ne prenant même plus la peine de les essuyer. À quoi bon, après tout ? Mes paupières se faisaient vraiment lourdes, beaucoup trop. La voix douce d'Ino se fit lointaine, et sans même avoir écouté un traître mot de ce qu'elle avait pu me raconter, je souris faiblement en me faisant la réflexion que finalement, j'avais bien retenu son nom...
Le réveil fut très difficile : les mains douloureuses, le cou raide de m'être endormi dans cette position assise, les yeux gonflés. J'enlevai dans une grimace la couverture qui ne me disait absolument rien. L'odeur du café me parvint, et les bruits de la pièce d'à côté me confirmèrent que cet appartement ne m'appartenait absolument pas. Ma mémoire mit quelques secondes à me restituer les heures de la veille.
Et merde.
Sur le canapé, j'étais de dos à la porte de sortie, et m'y rendre me faisait obligatoirement passser devant la cuisine. Dans un soupir à réveiller les morts, j'attrapai mes affaires, vérifiai que mon arme se trouvait toujours sous ma veste, et me levai enfin. Je ne fis qu'un pas avant qu'elle ne m'interpelle.
« J'ai fait du café, si tu veux, murmura-t-elle.
- Non merci. »
J'avais déjà la main sur la poignée, prêt à rentrer chez moi, me doucher... et fumer. D'un geste habituel, je fouillais mes poches à la recherche de ma nicotine. Je sus que ça allait être une très mauvaise journée en tombant sur un paquet vide.
« Ça va aller ? demanda-t-elle alors que j'ouvrais déjà la porte de chez moi.
- Pourquoi ça n'irait pas ?
- Toujours aussi désagréable, soupira-t-elle. T'es toujours ainsi ?
- Écoute, commençai-je, passablement énervé. Merci pour hier, mais...
- Mais ça ne me regarde pas, j'ai saisi l'idée. »
Elle claqua sa porte alors que j'entrai enfin dans mon appartement. J'avais craqué, complètement, et ça m'énervait à un point inimaginable. Moi qui croyais que chialer comme une merde aurait calmé ma colère, ma haine et cette envie sournoise de tuer quiconque, m'empêcher d'accomplir ma vengeance, j'avais pitoyablement tort. Et comme un robot rouillé par le temps, je lançais mes affaires personnelles sur la table, me fichant bien d'avoir un visiteur surprise qui pouvait trouver un flingue au milieu du salon. Je pris mon téléphone qui ne cessait de s'allumer, comprenant que pendant tout ce temps, ce con était sur silencieux. Une vingtaine d'appels en absence. Kakashi. J'écoutais le message tout en me rendant à la douche.
« Orochimaru m'a appelé. Faut qu'on parle. »
Et merde.


« Comment se nomme ce club ?
-Je n'en sais rien.
-On ne va pas tuer tous les flics de la ville, Kakashi.
-Et tu en es arrivé à cette conclusion seul ? son sarcasme glaça un peu plus l'ambiance.
-Ce que je veux dire...
-Je sais ce que tu veux dire, me coupa-t-il. Je suis vieux, pas con.
-Demain ? demandai-je simplement.
-Maintenant. »
Mon cerveau n'arrivait pas à coordonner le trop plein d'informations. Heure tardive; couvert de sang; ancien compagnon de vie; membre supérieur des forces de l'ordre. C'était définitivement une bien belle connerie à faire que d'y aller de suite. Son humeur massacrante me rassurait encore moins, et pourtant, une clope en bouche, je le suivis calmement, tout en essayant de faire abstraction des tâches poisseuses sur mon polo. Il abandonna son pick-up dans une ruelle, retirant plaque et toute preuve de sa présence. Ce fut dans ma berline, accompagnés d'un silence de plomb, que nous nous rendîmes chez Umino certainement endormi à cette heure-ci. J'appréhendais la rencontre de ces deux-là, ne sachant comment ils allaient réagir mais je n'avais qu'une certitude : la fatigue ne me permettrait pas d'être patient face à une querelle d'amoureux. Il m'intima de ne rien dire, de le laisser mener la discussion et de ne surtout intervenir à aucun moment. Sous aucun prétexte. C'était la dernière de mes intentions. Tant que j'avais le nom de ce gang merdique, et que j'allais enfin découvrir ce qui se tramait derrière la mort de mon ami... rien d'autre n'avait d'importance.
J'arrivais sans mal à imaginer le bout du tunnel, la fin de cette vengeance promise sous le coup d'une émotion noire, trop profonde. Par dessus tout, j'arrivais à entrapercevoir le soulagement de Kurenaï, apprenant que les coupables gisaient enfin six pieds sous terre. Mon c½ur lui-même se préparait à ce bonheur, prêt à se laisser aller à un autre sentiment que la colère et le désir de vengeance.
Cette promesse était bien trop lourde à supporter plus longtemps. Allais-je enfin pleurer sa mort, être en paix avec moi-même, et vivre dans la tranquillité, loin de ce monde ?
Une interminable minute s'écoula avant qu'Iruka ne nous ouvre la porte. Les secondes qui suivirent durèrent encore plus longtemps, alors que leurs regards ne voulaient plus se quitter. Je voyais de la ranc½ur au fond de ses prunelles d'un marron clair, de l'aversion aussi, mais surtout un puit de tristesse dû à l'amour qu'il devait sûrement encore lui porter. Je voulais bien rester en dehors d'une éventuelle conversation, mais sans un mot, c'était mal parti.
« Un gang au nord de la ville tatouant des fleurs de lotus, ça te dit quelque chose ? dit Kakashi d'une voix que je ne lui connaissais pas, presque fébrile.
-T'es blessé ? s'inquiéta soudainement Iruka.
-Ce n'est pas mon sang. »
Il recula d'un pas, serra les dents, et les poings aussi. Je la sentais vraiment mal cette rencontre, quelque chose d'abominable allait se produire, et ce pressentiment me donnait presque envie de soutirer moi-même les informations à ce sale flic. Seul le vent se faisait entendre durant d'interminables secondes où ils se fixèrent encore, comme s'ils discutaient dans un monde qui m'était interdit d'accès. La conversation dut tourner au drame, car il fermait déjà la porte, la tête baissée, abattu. Le pied de Kakashi l'empêcha pourtant de nous quitter. D'un geste violent qui me surprit, il l'écarta afin de s'incruster dans l'étroit couloir. Sa colère était palpable, et se vit encore plus lorsqu'il attrapa son ex-compagnon par la gorge afin de le placarder au mur. Je m'introduis en silence, et refermai derrière moi, certain d'être hors de portée de vue. Les yeux d'Iruka s'écarquillèrent, lui donnant un air plus surpris qu'apeuré. Ces deux hommes ne s'étaient jamais battus ? La poigne blanche l'enserra de plus en plus fort, le privant d'air, et son teint habituellement hâlé vira presque bleu. Kakashi était un homme dangereux, nul doute... mais Iruka ne daignait même pas se défendre. Pourquoi ? Les mains bien au chaud dans mes poches, je m'adossais au mur en face, observant la scène, impatient d'en finir. L'officier à deux doigts de perdre connaissance, Kakashi lâcha enfin prise, et le corps s'effondra au sol. Iruka essaya du mieux possible de récupérer l'usage de sa respiration. Mon partenaire s'accroupit pour lui faire face, pencha légèrement la tête sur le côté et caressa tendrement sa joue.
« Écoute, je n'ai pas envie de te faire du mal, d'aller trop loin pour une simple information. Lâche le morceau, et tu ne me reverras plus.
- Sinon quoi ? rit-il, moqueur. Me tueras-tu, Kakashi ?
- Iruka... le silence s'abattit de nouveau dans la pièce, et dans un soupir, Kakashi se releva, aidant par la même occasion Iruka à se redresser. Tu sais que je ne pourrais jamais véritablement te faire du mal. Mais, et j'entendis sa voix trembler, je peux vivre avec ta mort sur la conscience. Cet homme, que tu connais, dit-il en me pointant du doigt, te tuera sans une once d'hésitation. Il disait vrai. À toi de voir.
- Tu sais que le mal n'est pas forcément physique ? T'en es conscient ? Ou t'en as juste rien à foutre ?
- Iruka...
- Dans le quartier nord, celui de votre ami blond, derrière la boutique de fleur. Tu trouveras tes prochaines victimes, le coupa-t-il d'une voix froide. Ne laisse aucune preuve, je pourrais me faire un plaisir de te foutre moi-même derrière les barreaux.
- Merci, dis-je simplement, avant de quitter la maison.
- Cassez-vous. »
La porte d'entrée refermée, l'argentée frappa durement la façade en pierre, y laissant des bouts de peaux, et du sang. Ce fut sans un mot que mes pas le suivirent jusqu'à la voiture. La journée avait été très longue, la nuit s'annonçait interminable et je m'impatientais d'en finir au plus vite. Kakashi également, au vu de sa conduite assez barbare. Pour quelqu'un qui venait d'assassiner un flic et d'en agresser un autre, ce n'était pas ce qu'on pouvait appeler de la conduite prudente, et la discrétion était apparemment son dernier souci. Nous traversâmes la ville en une vitesse record, passant devant le bâtiment délabré de Naruto, puis un peu plus loin, à côté de la seule boutique de fleurs du quartier. Mon partenaire se gara prêt du magasin, évitant d'alerter les membres du gang que nous cherchions. Le boucan venant de la ruelle voisine nous mit sur le bon chemin et nul besoin de marcher longtemps. Une bande chaleureuse nous accueillit devant un local ouvert. Au vu de la lueur dans leurs regards, ce n'était pas un verre de thé qu'ils voulaient nous offrir, très loin de là. Un magnifique carnage n'allait pas tarder à éclater, et j'aurais parié sur eux si je n'avais pas remarqué la rage dans les yeux borgnes de Kakashi. Effrayant, prêt à en découdre, son envie de déverser toute sa haine sur ces inconnus me filait des frissons. Je compris rapidement le topo : au placard la diplomatie.
Pourtant, avant la violence, c'était la raison du massacre d'Asuma qui m'intéressait. Pourquoi lui ? Pourquoi ce gang-ci en particulier en voulait tant à sa vie ? Qu'est-ce que mon seul ami leur avait fait dans le passé pour provoquer un tel excès de rage ? Car sa mort n'avait rien d'une rapide altercation. Non, la colère marquait chaque ecchymose de son corps maintenant ensevelis sous terre. Alors pourquoi ? Un blond aux traits fins presque féminins me tira de mes pensées. Il replaça une longue mèche blonde derrière son oreille et laissa apparaître deux orbes d'un bleu doux, clair, presque amical. Je devinais pourtant ses muscles sous son t-shirt trop moulant pour appartenir à un homme, et sa gueule parfaite, sans égratignure, me laissait sur la réserve. Ce mec était dangereux. Assez pour n'avoir aucune blessure en tout cas. Et son acolyte semblait pire avec ses prunelles figées, sur un visage angélique, enfantin. Sur quoi étions-nous tombés ? Je sursautai à l'entente d'un coup de feu qui résonna dans tout le quartier. Un corps maintenant sans vie s'effondra derrière le blond, laissant tomber un flingue au bout de ses doigts, un filet de sang au coin de la bouche.
Kakashi venait de m'éviter la mort.
Le bruit avait sûrement alerté tout le voisinage, ce qui m'inquiétait apparemment plus que nos hôtes.
« Putain! Merde ! entendis-je d'un nouveau venu. C'est quoi ce bordel?!
- Je n'ai fais que tirer le premier, marmonna Kakashi, d'un air ennuyé qui ne présageait rien de bon. On vient simplement discuter,
- Vous deux, virez-moi ce con, ordonna-t-il à d'autres hommes. Et le premier qui me ramène une nouvelle tête, je le tue moi-même, c'est compris ?!
- Que se passe-t-il ? demanda une voix dans mon dos, ensommeillé, mais que je reconnus être celle de Naruto.
- Rentrons régler ça.
- Oui, murmurai-je à peine. C'est une excellente idée. »
Je passai outre le regard passablement énervé de mon ancien partenaire et les suivi sans rechigner avec Kakashi juste derrière nous, un peu plus méfiant. Qu'est-ce que Naruto venait faire dans cette histoire ? Cela aussi me rendait trop curieux. Était-il lié au meurtre d'Asuma ? Mais en quoi Naruto voudrait sa mort ? À y réfléchir quelques secondes, le blond n'était même pas venu à son enterrement, et ne semblait absolument pas touché par son décès. Il était vrai que la façon de gagner notre vie ne laissait pas de place à de la pitié et de la tristesse, pourtant Asuma avait toujours été d'une gentillesse infinie envers lui, comme avec moi. Alors quelle était sa relation avec ce gang, ces personnes qui avaient battu à mort mon ami ? La colère se mêlait à mes doutes, un cocktail explosif en plein c½ur, chose dangereuse vu mon manque de sommeil et mes émotions pas très stables.
« Shika, qu'est-ce tu fous là ?
- C'est le seul gang qui utilise des fleurs de lotus sur le corps de ses victimes.
- De quoi parles-tu gamin ? demanda celui qui semblait être le leader de cette tribu d'idiots.
- Je vois où tu veux en venir, et je peux te promettre que Pein et sa bande n'ont rien à voir avec le meurtre d'Asuma.
- Et je suis censé te croire sur parole ?
- Qu'insinues-tu ? sa voix était menaçante, me faisant bien comprendre qu'il me fallait choisir avec précaution mes prochaines paroles.
- Que je ne connais pas ce gang, alors permet moi d'avoir un doute sur leur culpabilité.
- Pein est mon cousin, il vit ici depuis des années et comme tu as pu le remarquer, ils se sont faits discrets jusque-là. Leur but c'est d'aider les gamins qui traînent dans la rue, les faire sortir de la drogue. Pas de battre des gens à mort.
- Une association caritative ? ironisai-je.
- Loin de là, me répondit le roux, certainement le cousin en question de Naruto. Mais nous n'avions aucune raison de toucher à ton ami. Pourquoi aurions-nous fait cela ?
- J'en sais rien, à toi de me le dire, cracha Kakashi, à bout de nerfs.
- Je n'en ai aucune idée, soupira Pain. Et si vous trouvez quoique ce soit qui me lierait à ce meurtre, mise à part cette fleur de lotus qui était ma marque personnelle il y a quelques années, je vous offrirais ma tête sur un plateau d'argent. En attendant, cassez-vous tous d'ici.
- Vous ne marquez plus vos victimes avec ce tatouage ?
- J'étais jeune et stupide, parce que avouons qu'orner des corps de tatouage, ça prend du temps, et c'est ridicule. Je n'ai pas tué ton ami, gamin. Mais quelqu'un veut te le faire croire.
- Qui ?
- Je n'en sais rien non plus, et sans vouloir t'offenser, ça, c'est ton problème. Si t'as quelque chose de concret contre moi ou mon gang, reviens me voir. Il lança un regard noir à Kakashi. Sans faire de mort. »
D'un geste de bras, il nous invita à quitter l'endroit, et je me sentis infiniment frustré de me retrouver de nouveau au point mort. C'était quoi cette histoire à dormir debout ? Cette journée qui me semblait apporter toutes les réponses à mes questions était finalement la pire de ma vie, me brouillant encore plus l'esprit. J'avais une migraine à me donner des nausées, et la fatigue commençait vraiment à se faire ressentir. Sans un au revoir à mes deux partenaires de tuerie, j'empruntais le chemin vers chez moi, le crâne lourd de questions. Pein n'avait pas tort, aucune raison ne liait ce meurtre à ce gang, et encore moins à Naruto. Mes doutes sur sa personne n'étaient aucunement fondés, et j'étais ridicule de penser un instant que le blond aurait pu le tuer de manière si brutale. Le tuer, certes, c'était tout à fait dans ses cordes s'il avait une bonne raison de le faire. Le battre à mort ? Ce n'était pas pour rien que le blond tranchait la jugulaire de ses victimes, leur évitant de souffrir de longues heures.
La nuit avait refroidi l'atmosphère et ma petite veste ne me protégeait pas vraiment contre le la brise glacée. Je sillonnais les rues comme un cadavre, le c½ur cruellement lourd, et je ne comprenais pas d'où me venait cette douleur, insupportable. Je réussis vaguement à maîtriser les accrocs de ma respiration, précipitant mes pas pour rentrer au plus vite. Les mains dans les poches, mes doigts butèrent contre mon paquet de cigarettes, ce qui me parût être une excellente idée. Ça calmerait peut-être mes nerfs, et cette sensation étrange dans ma poitrine. Ma respiration ne s'améliora pas, quant à elle, se saccadant à chaque nouveau pas, à chaque nouvelle bouffée de nicotine. Je sentais bien que quelque chose se brisait en moi, qu'il fallait que ça sorte ou que ça allait me bouffer avant la prochaine aube, qui n'allait déjà pas tarder à se montrer. Mon bâtiment se dessina enfin à l'horizon, immense bâtisse qu'il m'était impatient de rejoindre, ma fierté m'obligeant à ne pas craquer. Pas en pleine rue, aussi déserte soit-elle. Je pressais mes pas, courant presque jusqu'à l'immeuble, tout en sortant le trousseau de clefs de ma poche. Seulement mon âme, mon c½ur, peu importe quel organe, traître, me rappela la douleur immense qui m'étreignait depuis de longues minutes. Le froid ne me faisait plus rien, ne ressentant que le vent caresser mes joues, les glaçant par la même occasion. En passant une main sur celle-ci, je me rendis compte qu'il était beaucoup trop tard pour garder ma fierté en vie, car j'avais la peau trempée, et ce n'était cette fois-ci pas la pluie. J'aurais aimé...
Comme j'aurais aimé en finir avec cette histoire aujourd'hui, tuer un à un les membres de ce gang, sans même les écouter parler, juste assassiner de potentiels coupables, pour calmer cette idée de vengeance qui allait me bouffer l'existence pour un temps que j'ignorais encore. Je me serais contenté d'eux, de ces hommes, innocents ou non, j'aurais eu ma putain de revanche, j'aurais pu tourner cette putain de page. J'aurais pu... mais non. Alors j'essayais ridiculement d'entrer la clef dans la serrure, les yeux brouillés par les larmes, foutues gouttes d'eau disparues depuis si longtemps. Et quel sentiment affreux que de ne pouvoir tout retenir, chialer de l'intérieur, ne pas montrer cette faiblesse minable, même à mon reflet à la porte du hall qui ne s'ouvrait pas malgré tous mes efforts. Ce fut mon poing qui la fit trembler, laissant une fine fissure sur le verre bien renforcée au vu de la douleur, ce qui me permit d'oublier quelques secondes celle de mon for intérieur, beaucoup plus intense. Alors mes poings frappèrent de nouveau, encore et encore, sur le mur, sur la vitre, et qu'importe si mes os se brisaient, je continuais à détruire la porte... me détruire, jusqu'à sentir une poigne sur mon épaule. Il me fallut quelques secondes afin d'identifier à travers mes larmes ma voisine, les yeux horrifiés, vacants entre mes mains et le verre maintenant brisé et ensanglanté de la porte. Elle l'ouvrit doucement, me passant devant, tirant sur mon poignet afin que je la suivre. Arrivés à notre étage, la blonde insista pour soigner mes blessures, et m'entraîna de force à son appartement. Je n'avais même plus l'énergie de refuser. Exténué, perdu, je me laissai tirer jusqu'au canapé.
« Je vais le salir, dis-je d'une voix faible et épuisée.
- Aucune importance, passe-moi tes mains. »
La blonde dont le nom ne me revint pas s'assit sur la table basse du même blanc que toute la décoration du salon, et je lui obéis sans poser de questions, posant mes mains brisées sur la peau nue de ses cuisses. Elle s'appliqua à me soigner avec une douceur incroyable, alors que mes yeux retrouvaient leur sécheresse habituelle. Aucune parole ne lui échappa, malgré la lueur de curiosité dans ses prunelles plus bleues que celles de Naruto. Tant mieux, car je n'avais vraiment pas la moindre réponse à lui fournir, aucune envie d'inventer un mensonge. D'ailleurs, qu'est-ce que je foutais là ? M'apprêtant à retirer mes mains, prêt à rentrer chez moi, la jeune femme me retint sans cérémonies, m'obligeant à ne pas bouger tant qu'elle n'avait pas terminée.
« Je vais laver ça chez moi, murmurai-je.
- J'étais infirmière, et crois-moi, ce n'est pas le genre de blessures qu'on rince sous l'eau, s'énerva-t-elle. Tu aurais pu te briser les mains, idiot !
- Je suis fatigué.
- Moi aussi alors ne bouge pas que je puisse terminer et que chacun retourne se coucher. Un long soupire lui échappa. Je suppose que tu ne veux pas en parler?
- Non.
- Je m'en doutais.
- C'est quoi, ton nom, déjà ? »
Son agacement était palpable, et cela m'amusa un instant, me faisant même oublier ma vie miséreuse le temps d'une seconde.
« Ino, maugréa-t-elle.
- Je tâcherais de m'en souvenir, me moquai-je alors qu'elle s'attaquait à ma deuxième main, avec moins de douceur.
- T'es le mec le plus désagréable que j'ai jamais rencontré.
- Tu n'as pas dû en rencontrer des masses.
- Ah parce que tu te trouves de charmante compagnie ?! »
Je lui accordais un sourire qu'elle me rendit avant de retourner à sa tâche principale. Il fallait vraiment que je rentre, que j'aille dormir un peu. Ma tête tomba en arrière, fermant les yeux. Juste une seconde, quelques minutes de répit, dans cet appartement qui ne puait pas la mort, en compagnie d'une personne qui ne semblait pas avoir de sang sur les mains... si ce n'était le mien à cet instant. Cette paix me fit un bien fou, et pendant un court moment, je compris ce que t'essayais de me répéter, Asuma. Je compris enfin de quel calme tu ne cessais de me parler, de cet apaisement hors de notre monde.
Alors en silence, je laissais ces larmes glisser le long de mes joues, me fichant bien cette fois-ci de paraître pathétique, de ressembler à un minable homme ridicule, chialant comme un gamin. Car t'étais plus là pour m'écouter te raconter qu'enfin, j'avais trouvé, même durant de simples secondes, ce repos intérieur. Tu n'étais plus là, j'avais échoué à te venger, et alors que ton gosse grandissait sans père, ton meurtrier courait toujours les rues. L'impuissance, la rage, la tristesse... tous ces sentiments reprenaient déjà le dessus sur le calme, redoublant mes larmes qui coulaient librement sur ma peau, ne prenant même plus la peine de les essuyer. À quoi bon, après tout ? Mes paupières se faisaient vraiment lourdes, beaucoup trop. La voix douce d'Ino se fit lointaine, et sans même avoir écouté un traître mot de ce qu'elle avait pu me raconter, je souris faiblement en me faisant la réflexion que finalement, j'avais bien retenu son nom...
Le réveil fut très difficile : les mains douloureuses, le cou raide de m'être endormi dans cette position assise, les yeux gonflés. J'enlevai dans une grimace la couverture qui ne me disait absolument rien. L'odeur du café me parvint, et les bruits de la pièce d'à côté me confirmèrent que cet appartement ne m'appartenait absolument pas. Ma mémoire mit quelques secondes à me restituer les heures de la veille.
Et merde.
Sur le canapé, j'étais de dos à la porte de sortie, et m'y rendre me faisait obligatoirement passser devant la cuisine. Dans un soupir à réveiller les morts, j'attrapai mes affaires, vérifiai que mon arme se trouvait toujours sous ma veste, et me levai enfin. Je ne fis qu'un pas avant qu'elle ne m'interpelle.
« J'ai fait du café, si tu veux, murmura-t-elle.
- Non merci. »
J'avais déjà la main sur la poignée, prêt à rentrer chez moi, me doucher... et fumer. D'un geste habituel, je fouillais mes poches à la recherche de ma nicotine. Je sus que ça allait être une très mauvaise journée en tombant sur un paquet vide.
« Ça va aller ? demanda-t-elle alors que j'ouvrais déjà la porte de chez moi.
- Pourquoi ça n'irait pas ?
- Toujours aussi désagréable, soupira-t-elle. T'es toujours ainsi ?
- Écoute, commençai-je, passablement énervé. Merci pour hier, mais...
- Mais ça ne me regarde pas, j'ai saisi l'idée. »
Elle claqua sa porte alors que j'entrai enfin dans mon appartement. J'avais craqué, complètement, et ça m'énervait à un point inimaginable. Moi qui croyais que chialer comme une merde aurait calmé ma colère, ma haine et cette envie sournoise de tuer quiconque, m'empêcher d'accomplir ma vengeance, j'avais pitoyablement tort. Et comme un robot rouillé par le temps, je lançais mes affaires personnelles sur la table, me fichant bien d'avoir un visiteur surprise qui pouvait trouver un flingue au milieu du salon. Je pris mon téléphone qui ne cessait de s'allumer, comprenant que pendant tout ce temps, ce con était sur silencieux. Une vingtaine d'appels en absence. Kakashi. J'écoutais le message tout en me rendant à la douche.
« Orochimaru m'a appelé. Faut qu'on parle. »
Et merde.

